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  • Photo du rédacteurJaeger & Compâgnie

GR70 Sur les traces de Modestine. 10. Le Bleymard vers le Pont de Montvert.

Dernière mise à jour : 3 janv. 2021



Tout est magnifique depuis le départ de ce périple et pourtant ce matin on est tous guillerets à l'idée d'aller gravir le Mont Lozère. C'est d'une superbe humeur que nous partons attaquer le chemin, après un passage à la boulangerie du village.




Le chemin commence fort dès la sortie du village. On monte, mais sans difficulté. Quatre kilomètres de chemin large et nous atteignons la station du Bleymard. On s'arrête prendre un café à la terrasse de l'hôtel restaurant "Le Refuge" puis... Go !



Pas mal de promeneurs autour de la station. Mais plus on avance, plus le nombre diminue, restent quelques randonneurs. On marche derrière une famille d'Allemands, les parents et des enfants dont le plus jeune doit avoir 14 ans. Tous les 10 mètres, ils se retournent en criant "hihaaaan". Youpi, pour la sérénité des lieux et prendre des photos... Je me serais bien passée d'eux.




La météo est belle, on peut monter au sommet de Finiels. Il y a un parcours bis en cas de brouillard ou neige, il est interdit d'aller jusqu'en haut. Mine de rien, depuis ce matin ça monte, et les doudous ne lâchent pas, ils sont sereins, ils marchent, ils ont l'air heureux.



Arrivés en haut... Ouah ! Magnifique ! Une vue à 360°, je fais le tour des affichages descriptifs qui indiquent l'altitude mais aussi tout ce que l'on peut voir d'ici en se déplaçant entre les 4 points cardinaux. Même les photos ne peuvent transmettre la beauté de ce lieu.







Je vais peut-être vous paraître ridicule mais avec toute cette beauté, puis finalement toute cette randonnée attendue depuis tant de mois, les émotions ont pris le dessus. Je prends Ballotine dans mes bras et je fonds en larmes. Ma Ballotine... Cette petite ânesse, qui n'était jamais sortie comme ça avant d'arriver à la maison, ne savait pas ce qu'était de partir comme ça, n'est pas un monstre apparent de puissance... Qu'est-ce qu'elle m'offre ! Elle me suit, me fait confiance, montre une force et un courage que je n'aurait pas imaginés. Une ânesse comme ça, je n'en trouverai jamais une autre.




On entame la redescente. D'abord de la plaine d'où on aperçoit la forêt de pins. Puis le sentier passe entre les pins. Le sol est fait de grosses pierres, le chemin paraît assez large mais il faut regarder où on met les pieds. Et puis, le passage a été apparemment élagué mais les branches coupées ne l'ont pas été assez courtes, il y a régulièrement des bouts de branches de 1 mètre qui dépassent sur le sentier. En humain, pas de souci. En âne, c'est plus compliqué.





Je marche devant, on a pris cette habitude, avec Ballotine et Roméo.

D'un coup, j'entends un bruit assourdissant.

Je me retourne;

Et je vois Vérac, mule poitevine (= de trait) de 1m75 au garrot je vous rappelle, dévaler la pente à fond vers nous, au grand galop, le bât sous le ventre.

Merde !!!

J'ai juste le temps d'agiter les bras, d'essayer de prononcer un "Hey" pour qu'elle ne nous fonce pas dessus et... Oui elle nous évite. Mais...

Toujours lancée à pleine vitesse, oui, elle nous évite. Mais elle passe entre Ballotine et Roméo.

Et Roméo est attaché au bât de Ballotine. Pas directement hein, je mets comme tout le monde une petite ficelle pour que cette ficelle casse en cas de souci.

La ficelle ne casse pas.

La mule est donc au grand galop, entre mes deux ânes, le poitrail poussant sur la longe de Roméo.

Elle les emmène avec elle. La longe tire à la fois le bât de Ballotine (et donc Ballotine), et le licol de Roméo (et donc Roméo).

Evidemment, courir comme ça, ils ne peuvent pas.

Les trois perdent l'équilibre et se mettent à rouler, emmêlés ensemble, le long de la pente qui borde le chemin. Un saut de l'ange, un rouler bouler, je ne sais même pas combien de mètres ils ont fait ni combien de temps ça a duré.

Enfin, la chute s'arrête. Un sapin les a bloqués. On se dépêche de les rejoindre.


Et là, ils auraient pu paniquer, se débattre, se blesser les uns les autres, rendre encore plus difficiles les choses. Non. Aucun ne bouge.

Je vais d'abord voir Roméo. Il a la tête et les antérieurs emmêlés avec les postérieurs de Vérac. Sa longe est tellement en tension que je n'arrive pas à la décrocher, et pourtant il s'agit d'un mousqueton anti panique, sensé justement pouvoir se détacher si un cheval tire au renard.

Je passe donc à Ballotine, un peu moins emmêlée. Alors je ne sais pas comment je me suis débrouillée, mais j'arrive à détacher sa longe et enlever son bât en quelques secondes. Une fois mon ânesse "nue", je la mets debout. Je la regarde partout, assez rapidement, on en a deux autres encore en mauvaise position et... Elle n'a rien ! Juste une toute petite égratignure à un membre. Je l'attache plus loin et il faut dégager Roméo avant de pouvoir relever Vérac, on fait les choses dans l'ordre. Fabrice m'aide à lui enlever tout son harnachement, plus malin que moi il enlève carrément le licol, et Roméo se lève dès qu'il se sent libéré. Une fois qu'elle n'a plus Roméo entre les jambes, Vérac se relève. Je suis en train de regarder si Roméo est blessé, et je vois que Vérac non plus n'a rien.

On les attache tous et là... On réalise. Ce qui vient de se passer. Ce qui aurait pu se passer. A quel point on a eu de la chance. A quel point nos animaux sont extraordinaires.

J'entends Fabrice me répéter plusieurs fois "bah t'es pas banale toi !". Je lui demande ce qu'il veut dire et il me dit qu'il n'en revient pas à quel point j'ai pu rester calme et efficace pour gérer la situation. C'est vrai que en général, je panique pour des bêtises mais quand la situation l'exige, je garde mes esprits, j'agis. Je panique seulement une fois les choses réglées. Fabrice aussi est resté zen, on a géré tous les deux la situation exactement comme il le fallait, à deux.


Une fois les trois zoreilles auscultés et attachés à l'ombre, on commence à ramasser le matériel.

Les cuirs du bât de Vérac ont cassé à plusieurs endroits, une de ses sacoches est totalement éventrée. Fabrice a beaucoup de réparations à faire si on veut pouvoir repartir.

Je regarde en détail les bâts de mes doudous et.. Rien ! Absolument aucune casse ! Même les sacoches n'ont aucun accroc, c'est assez incroyable. Du bon matériel, des bons cuirs ( Ballotine, bât et sacoches de chez Cab'âne ; Roméo, bât et sacoches de chez Baude).

Avant que Fabrice ne répare, on essaie de manger un peu. Mais c'est le moment où pour moi, les nerfs retombent. Je reste assise, complètement au radar. Je vois un morceau de cuir pendu dans une branche. Ouah, à cet endroit, ça a été violent quand même ! Je réalise qu'à cause d'une branche mal coupée, on aurait pu perdre nos animaux.

Je pense que Fabrice croit que je lui en veux, à lui ou à sa mule, de ce qui s'est passé. Mais non, surtout pas ! Un bât qui tourne, c'est le plus difficile à gérer. Ils ne s'habituent à ça que lorsque ça leur arrive. Ils ont tous un certain degré de peur quand ça arrive la première fois. C'est juste la faute à pas de chance. Personne n'est responsable. Et tout le monde va bien. Et ça... On sait qu'on a eu une chance énorme.

On a eu aussi la chance d'avoir une mule et des ânes plutôt que des chevaux. Combien de muletiers rapportent l'histoire de mulets qui, lors d'un accident de ce genre, prennent simplement appui sur leur bât lorsqu'il dévalent une pente et attendent patiemment qu'un humain vienne les libérer de cette mauvaise position. Je vous conseille d'ailleurs ce livre, que vous ayez une mule ou un âne, leur fonctionnement est exactement le même sur beaucoup de points et cela vous aidera à comprendre énormément de choses.


Les réparations faites tant bien que mal, on doit repartir. On aimerait s'arrêter à Finiels, histoire de terminer cette journée et se poser au calme. Mais impossible de joindre le camping, personne ne répond au téléphone ni aux mails.

On se demande comment les loulous vont réagir quand on va leur remettre les bâts après cette aventure. Et bien là aussi, ils sont épatants : ils se laissent tous harnacher comme s'il ne s'était rien passé et reprennent la marche comme un jour normal. On change juste un détail : Fabrice et Vérac marchent maintenant devant...



En arrivant à Finiels, on fait le plein d'eau et boire les loulous. Une petite vieille nous dit de ne pas boire cette eau, de prendre l'eau à la borne incendie, elle nous répète ça six ou sept fois, on a compris, elle ne veut pas qu'on boive cette eau... Et pour la réponse au niveau d'un terrain pour juste dormir, elle répète "camping" plusieurs fois alors qu'on lui explique que vu de là, le camping a l'air tondu à raz. Bref, elle ne veut pas qu'on reste ici ni qu'on prenne l'eau. Quand on repart, on la voit avec son tuyau en train d'arroser ses plantes. Si l'eau n'est pas potable à la fontaine, au lieu de nous faire remonter le village pour aller à la borne incendie, pourquoi ne nous a t'elle pas tout simplement proposé ? Bref...




On continue vers le Pont de Montvert, on trouvera bien où s'arrêter. Les paysages sont superbes, les espaces immenses, mais rien où on pourrait enfin se poser.



Quand on entame la descente vers le Pont de Montvert, on se serait bien passés de ce genre de chemin après tout ce qu'on a vécu aujourd'hui. Entre les passages où on passe à peine en largeur, les pierres glissantes, les filets d'eau qui traversent le sentier à plusieurs endroits... Comme beaucoup d'endroits, en humain c'est facile, en âne et mule ça se corse. Mais on est en mode mécanique, on marche sans penser, on profite de la beauté du paysage, j'en oublie de faire des photos.




Juste à l'entrée de la ville, un petit vieux, qui connaît parfaitement les beaucerons parce qu'il a eu une croisée, les mules parce qu'il en a vu, le travail des chiens sur troupeau mieux que Fabrice parce qu'il nous prend pour des citadins, nous indique un terrain où on pourrait dormir. Il est assez loin et quand on y arrive, on découvre qu'il s'agit d'une butte qui surplombe la gendarmerie... Ce vieux c-- a apparemment fait exprès pour nous faire chier !

On n'a plus qu'une solution : le camping. A l'autre bout de la commune. Qui ferme à 19 heures...



En allant vers le camping, on aperçoit le panneau qui indique l'enclos des ânes. Putain, c'est loin du camping, je n'aime pas ça, mais on n'a pas le choix...

Le camping ferme à 19h. On y arrive à 19h05. L'employée municipale de l'accueil est déjà dans sa voiture. Heureusement, des gens devant le camping nous montrent la voiture en nous disant "elle vient de fermer, c'est elle !".

Fabrice ne se démonte pas, il bloque la voiture avec sa mule ! Elle n'a pas le choix que de s'arrêter.

L'accueil est dont très aimable, le tarif a aussi été gonflé, que ce soit pour nous et les animaux, et elle refuse que l'on entre avec nos animaux jusqu'à notre emplacement, il y a de quoi les attacher pour les débâter devant l'enclos des ânes. Fabrice lui dit ok, mais dans ce cas on les décharge là-bas et vous venez avec nous pour ramener les 100kg de matos ! Elle finit par dire ok, pour une fois elle fera l'exception. De toute façon, même si elle avait refusé, elle était tellement pressée de rentrer chez elle qu'on aurait attendu 5 minutes et on serait rentrés pour décharger notre matériel.


On pose tout et on emmène nos trois paires d'oreilles sous la pluie vers l'enclos des ânes. Des centaines de mètres, on n'aura aucun moyen de les surveiller cette nuit.

L'enclos, c'est une barrière sur le Gr70. Un bac vide à l'entrée. Fabrice met l'eau à couler dans le bac en grognant un peu car ils ne sont même pas foutus d'avoir mis un collier pour faire tenir le tuyau au robinet. Ce bled est magnifique mais tellement touristique qu'en fait, la plupart des commerçants et employés divers se permettent de mépriser les touristes. Ils s'en foutent, les randonneurs ne font que passer, d'autres viendront. Idem pour les vacanciers.

Je demande aux habitants d'une maison à côté comment ça se passe, dans cet enclos. On ne nous a rien dit à part suivre les panneaux. En fait, une partie de la montagne est grillagée, les animaux peuvent faire le tour de tout le sommet, il y a une barrière à l'autre bout aussi. Et "en général les randonneurs referment derrière eux, c'est rare qu'un âne s'échappe"... Ok, super, on va être zen cette nuit. Et j'espère que nos zoreilles ne vont pas être tout de l'autre côté demain matin !

Je laisse les licols à Ballotine et Roméo car on ne sait même pas s'il y a d'autres ânes et ça évitera peut-être qu'un marcheur se trompe d'âne demain matin...




Retour au camping, punaise c'est loin. On boit une bière, zen, on profite des douches (dans un état de saleté incroyable, sans parler de l'odeur dans les sanitaires). On est tout calmes ce soir, on n'en peut plus, on est encore la tête dans l'accident et comme on n'a plus rien à faire ce soir, tout retombe. On est littéralement épuisés.




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