J3, 15 avril 2019. Guémené-Penfao vers St Nicolas de Redon. Le jour le plus long...
- Jaeger & Compâgnie
- 27 avr. 2019
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 23 août 2020
Je me réveille tôt, le soleil ne s'est pas encore levé.
Les ânes ont dormi au plus près de la tente, et je remarquerai que chaque nuit, c'est pareil. Quel que soit l'espace qu'ils ont, tous les matins l'herbe dans la zone la plus proche de ma tente est tassée, mangée à raz, dévastée. Ils doivent avoir peur que je me sauve en pleine nuit. Ou veulent veiller sur moi.
Jaeger non plus n'est pas compliqué. Je rentre dans ma tente le soir, il va se coucher (tout contre moi) et ne bouge que lorsque je me lève le matin. Si je me lève en pleine nuit, il m'attend sagement dans la tente. Sauf si je m'éloigne de trop. Il ne faut pas disperser le troupeau !
Je ne veux pas partir trop tôt, car il faut reprendre le boulevard que l'on a monté hier. Et je veux éviter l'heure "de pointe". On est lundi. Tous ces virages, la circulation... Ça m'inquiète. Mais je n'ai pas le choix, il faut redescendre vers le centre ville pour retrouver la suite du GR. On a une petite vingtaine de kilomètres à faire aujourd'hui, je peux partir après 9 heures.
On y va. Roméo, en queue de file, a son gilet jaune accroché sur son chargement... On n'est jamais trop prudent.
En effet, j'ai passé l'heure de pointe. Mais... les poids lourds, il n'y a pas d'heure... Je n'ai pas de photo, trop concentrée. Les camions qui nous doublent, qui nous croisent, d'assez près car peu de marge pour eux. Les voitures qui nous voient seulement au dernier moment. Mes animaux ont été parfaits. Comme s'ils sentaient ma concentration et mon sérieux du moment. Et oui mes bichons, là je ne rigole pas. Une fois en bas, on respire. Tous s'est bien passé.

On emprunte des petites ruelles, charmantes, et on se retrouve au bout de la ville. Le GR continue dans un chemin bien vert, bien calme.
Un monsieur sort de son terrain pour venir me parler. Il est admiratif du calme de mes loulous, fait une papouille à Roméo qui, en liberté, est venu le voir de plus près.
On croise une jeune femme, anglaise, qui marche vers Compostelle. On discute quelques minutes, elle photographie les ânes, et on reprend notre chemin.

Au détour d'une petite route, posé à côté d'un balisage du chemin, un sac et diverses affaires de marche sont déposés. C'est une sorte de tradition pour ceux qui vont vers St Jacques. Laisser les affaires dont on n'a plus besoin pour servir à d'autres pèlerins. J'espère que quelqu'un aura trouvé son bonheur.

Peu après le Rocher du Veau, nous quittons le GR. En effet, le chemin de randonnée traverse plusieurs fois la voie ferrée pour rejoindre et traverser la ville de St Nicolas de Redon. Avec les ânes, je n'ai pas envie de traverser une ville, et mon point de chute de ce soir se trouve un peu plus bas. J'ai donc prévu de passer par des petites routes et chemins, tous repérés sur carte IGN.
Nous longeons une grande ferme, où l'exploitant est en train de préparer son faneur au bord du champ, pour son ensilage d'herbe. Il arrête son tracteur à notre passage. Il me propose de l'eau pour mes doudous, discute un petit moment avec moi. Il me dit de faire manger mes ânes à tel endroit, que ça ne le dérange pas bien au contraire. Je sens dans la conversation qu'il est à deux doigts de nous proposer de bivouaquer chez lui. Il est d'une gentillesse et d'une prévenance telles que j'ai des scrupules à lui dire qu'il faut qu'on reparte, il est très tôt. Je ne peux pas m'arrêter maintenant, c'est dommage. Mais j'ai déjà mon point de chute pour ce soir, pour lequel j'ai confirmé mon jour d'arrivée. On continue donc, laissant le monsieur travailler. Plusieurs chemins, pas mal de vaches et génisses intriguées par notre convoi.
https://youtu.be/99OcjJmgPiE
Je rate un sentier, mais je pense qu'il n'existe plus, je n'ai rien vu. Ça va nous faire un sacré détour, mais tant pis. On passe dans un petit village, où deux labradors sortent en courant pour venir faire des zigzag au milieu de ma troupe. Les gens sont très gênés, leurs chiens tout contents ne les écoutent plus, mais pas de mal, ça arrive. Mes ânes restent patients, et Jaeger est content de rencontrer des copains.
Plus loin, un carrefour. Dans le jardin de la maison à droite, un sharpeï très agressif. Nous devons tourner à droite mais je remarque que le portail de cette maison, au bord de la route de droite, est grand ouvert. Si on passe, le chien sortira ou pas ? À peine le temps de réfléchir, le chien est sur la route. Il montre les crocs, grogne et aboie, le poil hérissé sur le dos. Mes bâtons sont dans les sacoches. Super. Je vous dirai plus bas pourquoi j'emmène des bâtons...
Je décide de continuer tout droit, passer devant chez lui serait sûrement considéré par le chien comme un affront. Et Jaeger ne ferait pas le poids. Le chien nous barre la route et je choisis de ne pas tourner, il a l'air d'en vouloir autant à mon chien qu'à mes ânes.

Et c'est là que je vais vous parler de l'exceptionnel chien qu'est Jaeger.
Jaeger, c'est la force tranquille. Jaeger, c'est le vrai chef de meute. Le conflit, il ne voit pas à quoi ça servirait. Lui, il se laisse embêter par les petits jeunes jusqu'à certaines limites. Puis il dit stop. Gentiment, mais fermement. Plusieurs fois si nécessaire. Mais sans jamais s'énerver.
Jaeger, c'est le chien qui ne voit pas pourquoi il répondrait à des agressions alors que pour lui, il n'y a pas de raison. Pourquoi il se battrait alors qu'il ne fait que passer. Jaeger, quand il se fait attaquer, il ignore l'autre chien parce qu'il sait que s'il répond sur le même ton, rien ne s'arrangera. Un chien lui saute dessus, il met un coup d'épaule, jette son regard que je ne saurais expliquer, et continue comme s'il ne s'était rien passé.
Je ne l'ai vu se battre qu'une seule fois en presque 5 ans. Il aime l'ordre et le calme entre chiens, à part pour jouer c'est rare qu'il se laisse aller dans des émotions et réaction extrêmes.
Et c'est pour ça que, comme j'écris le premier jour, je ne regrette pas d'avoir choisi Jaeger pour ce périple. Avec lui, peu de risque de drame canin.

On fait un grand détour à cause du sharpeï. On visite la campagne. Des petites routes qui traversent des hameaux, un border collie vient nous attaquer au milieu de la route. C'est rigolo, le rideau dans la maison bouge, mais personne n'intervient pour le chien qui sort pourtant de cette maison. Merci Jaeger...
Plus loin, un berger australien nous suit en grognant. Encore merci Jaeger...

On fait une petite pause, on est en retard. Les ânes mangent un peu, je réajuste le bât qui a bougé et on repart.

On emprunte une autre petite route. J'ai une photo de la route mais pas de ce qui s'y passait. Sur environ 5 kilomètres, nous étions sur le parcours menant à une ferme qui faisait ce jour-là son ensilage (d'herbe). Nous nous sommes fait dépasser et avons croisé au moins une douzaine de fois les tracteurs avec leurs remorques. Je peux vous dire que je "serrais les fesses". Les chauffeurs étaient vraiment sympas, même s'ils n'avaient pas beaucoup de marge pour passer, ils ont bien pris soin de ralentir comme il fallait à côté de nous. Et mes 3 bestioles ont été vraiment exemplaires. Quelques petits écarts au début, c'est impressionnant ces grosses remorques dont les roues arrivent quasiment au garrot de mes doudous. Je suis fière d'eux. Ils ont confiance en moi, si je les fais passer là, c'est que ça ne craint rien...

Les détours nous ont pas mal rallongés. Et emmenés sur une départementale que je décide d'emprunter sur une centaine de mètres. L'éviter nous aurait encore ajouté des kilomètres. Et j'avoue qu'aujourd'hui, j'en ai marre. Toutes les routes imprévues et dangereuses et les aléas du jour m'ont mis un petit coup au moral. Je suis pressée d'arriver.

Encore quelques rencontres avec des chiens aimables que les propriétaires n'ont pas l'air de contrôler (ni d'avoir envie, j'en vois certains qui sont présents, cachés et n'intervenant pas) et croisements de véhicules. Je rencontre la "folle du village" qui, me collant dans sa voiturette sans permis, me demande comment je m'appelle, où j'habite exactement, ce que je viens faire ici. Pour m'en débarrasser, j'emprunte un petit chemin où j'espère qu'elle ne s'aventurera pas avec son pot de yaourt. Je ne sais plus où je suis mais au moins, elle m'a abandonnée !
Nous finissons par arriver au centre équestre qui nous accueille.
Je fais des signes d'assez loin, les chevaux en train de travailler sont assez perturbés par mon équipage. Les chevaux ont généralement peur des ânes. Et les ânes chargés, c'est encore pire. Imaginez ce qu'un cheval peut percevoir comme formes ! J'essaie au maximum de faire attention à la sensibilité des chevaux que l'on peut croiser, en me mettant à leur place.
Une jeune femme vient me montrer les paddocks où on peut s'installer pour la nuit, ainsi que l'endroit où je peux prendre de l'eau.
J'installe mes ânes dans un paddock et mon campement dans le paddock d'à côté. Le temps change, il va pleuvoir. Je monte donc rapidement ma tente.
J'ai 2 bâches : une qui me sert pour recouvrir le bât et les sacoches en cas de pluie lorsqu'on marche, et une autre un peu plus grande pour emballer les affaires pour la nuit (pour les protéger de l'humidité et des rats ou autres). En effet, je ne peux pas tout mettre sous la tente.
Dans la tente, je mets mon sac à dos avec les choses importantes et les vêtements et nourriture pour la nuit et le matin. Le reste, c'est dans la bâche à côté.

Pour me faire à manger et passer la soirée à l'abri de la pluie, je mets toutes les affaires sur la petite bâche et fais un abri avec la grande à l'aide de quelques sardines et mes bâtons. Mon installation perturbe un peu un cheval que sa jeune propriétaire vient faire travailler dans le rond de longe juste à côté. J'en suis désolée, si j'avais su je me serais installée un peu plus loin...

Mes ânes font connaissance avec les chevaux du pré d'à côté. Ils font vraiment minuscules !!!
C'est rigolo, les chevaux étaient fous au début, et je me rendrai compte qu'ils ont dormi toute la nuit juste à côté de mes doudous. Tous ensemble, juste séparés par la clôture.
Je passe la soirée sous mon abri de fortune, je suis épuisée par cette journée forte en émotions, cette journée où mes 3 loulous m'ont montré que je pourrai les emmener partout sans crainte. Je regarde mes cartes, je compte. On a fait 27 km aujourd'hui. Je n'en reviens pas. Aucun deux ne m'a donné un seul signe de fatigue ou de lassitude.

Certains diront que ce n'est pas énorme, 27 kilomètres. J'ai fait des sorties avec Jaeger où l'on a marché 45km en une journée. Mais à pas d'âne, je ne pensais pas en faire autant. Avec un jeune âne qui n'avait pas l'air de connaître beaucoup le monde extérieur avant son arrivée à la maison. Avec une ânesse qui en général, au bout de deux ou trois heures de marche, me montre qu'il est temps de s'arrêter pour manger en m'arrachant le bras tous les trois mètres. Mes doudous ont donné énormément aujourd'hui, tant physiquement que moralement. Je suis fière d'eux. Je me dis qu'ils me suivraient au bout du monde. Je n'ai aucun mal à m'endormir...
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